Première répétition de la performance musicale ETRE BEAU dans les studios de la SACD
 
Avec le chorégraphe et metteur en scène Luc Petton
le cinéaste Jules Bonnel et son chef opérateur José Ramirez
La danseuse Aurore Godfroy
Le polyinstrumentiste et compositeur Steve Shehan
L’auteur et narratrice sur scène Frédérique Deghelt

Deux jours de répétitions sont prévus. Le premier au studio de la SACD pour bénéficier de matériel de tournage et réaliser lors de ce premier opus un making off qui nous permettra de communiquer quelques images, le second à l’auditorium du Perreux. Pourquoi filmer le début de la création ? Parce que depuis son avènement le projet artistique Etre Beau est autonome, hors des codes et qu’il nous emmène hors de nos zones de confort. Il est à ce titre un vrai voyage dans le processus créatif qui mérite qu’on le filme.

L’espace est étroit, mais très intime. Il rend compte immédiatement de l’immense professionnalisme de la danseuse Aurore Godfroy que dirige son chorégraphe attitré depuis des années. Avec Luc Petton, elle a l’habitude de danser sur scène avec des oiseaux ce qui comporte aussi une part non négligeable d’inconnu, d’improvisations relatives.

Le musicien et le chorégraphe

Luc Petton est un chorégraphe accompli, investi dans ce sujet de la différence et du handicap depuis longtemps. Il a l’habitude de faire des choix artistiques risqués. Comme par exemple mettre en scène ses danseurs avec des oiseaux et/ou des animaux sauvages, des grues des cygnes, des oies de Mandchourie, des chouettes, des loups, des vautours, imprégnés dès leur naissance pour qu’ils s’habituent aux danseurs. Cette part non négligeable d’improvisation, cette obligation d’adaptation aux animaux l’a rendu ouvert à ce qui se passe ici et maintenant… C’est un homme précis, exigeant, qui ne se contente pas de ce que pourrait être juste une originalité en soi. Tous ses spectacles ont une histoire, une invitation à l’émotion mais aussi à la réflexion, à travers des mises en espace épurées où les corps racontent le mouvement et ses silences dans un même respect de nos perceptions. Dans son parcours atypique, on trouve les arts martiaux et une danse toute en élégance et légèreté. Aquatique et aérien, il enracine ses histoires dans ses mises en scène singulières.

Le seul artiste que je connaisse vraiment bien est le musicien Steve Shehan, avec lequel nous faisons déjà nos lectures musicales. Nous enlaçons régulièrement les mots, les rythmes, les vibrations de la voix et le sens du texte. Nous avons déjà vécu mille vies d’amitié, de connivences artistiques, de rencontres avec la nature lors d’une lecture où les martinets et les grenouilles se sont invités dans notre spectacle. Lui aussi offre la part belle à cette improvisation travaillée qui repose sur ses années de métier et sa vision chamanique de la musique, du texte et de la danse. C’est un musicien voyageur qui a travaillé avec de grands artistes, Bob Dylan, Paul Simon, John Mc Laughin, Paco de Lucia, Léonard Bernstein, Youssou N’Dour, Ibrahim Maalouf, Salif Keita… ainsi que des danseurs de tous les pays avec des instruments de toutes les origines.

L’ambiance générale

Avant cette première répétition, les artistes sont tous inquiets. J’ai fixé très vite ces deux répétitions sans savoir ce que nous allions faire, avant que tout le monde ne s’éparpille dans le monde des vacances. Sans doute parce que je sais à quel point commencer puis laisser reposer insuffle au processus artistique une vaste proposition. Je m’y tiens parce que je devine la rencontre entre musique et danse et que le texte est là pour se faire oublier en ponctuant de temps à autre les photos.

Astrid prise par un reportage ne sera pas là. Dans ce studio nous n’avons pas de projection des photos, mais elle va me manquer car je devine la force de ce qui va advenir et que je ne pourrai partager avec elle. Ce projet est viscéralement le nôtre.

Que veut le chorégraphe pour la musique ? Que va faire le musicien ? Le studio ne sera-t-il pas trop étroit pour filmer, danser, lire, jouer, sans se marcher sur l’espace ? Le cinéaste s’inquiète lui aussi de ne pas pouvoir se glisser assez bien dans cette répétition, d’être dans un tournage bazardeux et pas cadré (c’est le cas de le dire) qui ne rendra pas compte de ce que nous voulons faire.

Je dois garder mes certitudes. Ils sont inquiets parce qu’ils sont de grands pros qui ne font rien par hasard et à la légère. Moi c’est leur talent qui me rassure. Je n’en mène pas large de devoir maintenir cette forme de tranquillité douce face à leurs questions. Je les sais maitres de l’improvisation, maitres de leur art et suffisamment branchés sur le cosmos pour se saisir de toute opportunité offerte par le duende, ce petit esprit que les joueurs et danseurs de flamenco convoquent pour que le souffle de l’inspiration inonde leurs spectacles. Mon intuition reste plus forte que les doutes et les questions.

Ça commence…

La répétition commence par le duo entre Aurore qui s’échauffe et Luc qui la dirige doucement vers un début d’improvisation sur nos thèmes. Jules et José, son chef opérateur, prennent un peu de temps pour régler lumières et caméras. Temps toujours ressenti trop long, mais néanmoins nécessaire à la beauté de l’image. Ce décalage oblige les artistes à attendre et parfois on sent que les corps et les mains piaffent car quelque chose commence à poindre, la magie de ce qui vient. Puis les deux cinéastes donnent le feu vert et se glissent au coeur de cette exploration artistique dans laquelle on perçoit déjà la distorsion du corps qui se déforme, rencontre la différence, puis se rassemble à nouveau et revient à ce qu’on n’ose plus appeler la normalité. Cette métamorphose est déjà une piste à explorer. Ce que nous appelons le corps normal a des bizarreries que seule une observation longue et approfondie de la forme d’un mollet ou d’un genou révèle. Dans toutes ces évolutions, pas une fois le corps d’Aurore n’est difforme, pas une fois il n’est laid, quelque soit la forme qu’il prend. Il est toujours juste, toujours à sa place, il invente la partition qu’écrit Luc en direct, traversé par le souvenir de sa lecture du livre et de sa vision des Etres Beaux.

Puis la musique entre en scène, j’ai des frissons. Instruments simples. Tambour, percussions légères. Echanges magiques, impulsions, le corps d’Aurore vibre au son du tambour, s’empare de la mélodie du hang, est menée par la voix douce du Luc qui impulse à l’espace de prendre forme autour d’eux ; quelque chose d’irréel plane. Je sens des larmes, je ne savais pas que ce que j’avais ressenti en écrivant ce livre, en partageant avec ces magnifiques Etres Beaux, en vivant cette amitié avec Astrid, pouvait devenir une musique dansée dans l’espace réduit de nos âmes accordées.

Pour cette première répétition dans l’espace minuscule du studio, je serai une voix en amorce, sagement assise sur une chaise. Empêtrée dans mes lunettes, ma voix s’assure, cherche, s’appuie sur le corps d’Aurore. Luc soudain s’empare de la direction de tout. Comme un chef d’orchestre il fait danser Aurore, mais aussi monter ou baisser la musique, donne le départ de la lecture d’un texte puis d’un autre ; Je ne lis pas dans l’ordre, choisis les textes à l’instinct, en m’appuyant sur ce que je vois et entends. J’ai l’habitude de lire au son, de suivre ou précéder Steve dans ses improvisations musicales, mais cette fois, j’y rajoute ce que danse Aurore… C’est magique, inspirant, inspiré. Nous découvrons que tout coule avec une impressionnante évidence. Luc sourit, Steve savoure l’instant et je sais que nos coeurs battent à l’unisson. Quelque chose est possible. Egalement importés nos deux cinéastes dansent autour du corps d’Aurore, sont pris dans le mouvement, reviennent à Steve ou aux mots du texte que je proclame, chuchote, instille…

Nous sortons heureux, émus de cette première répétition. Quelque chose a eu lieu.

Deuxième répétition

Prochain opus dans un espace plus vaste, celui de l’Auditorium du Perreux-sur-Marne. Nous allons cette fois ajouter les photos projetées sur un écran. Nous devons veiller à entremêler photos, musiques, danses et mots dans un même récit, sans donner au spectateur la sensation d’un trop plein. Le silence doit y faire son nid pour ponctuer l’indicible, déployer les émotions.

Cette fois Luc Petton rencontre un danseur qu’il ne connaît pas et n’a jamais mis en scène : Bruno Brazete, qui a fait de la danse contact et travaille avec des handicapés très souvent. C’est un danseur délicat, curieux, généreux, tout en joie. Sous son apparence de beau gosse rêveur, Bruno trimballe une profondeur, une sensibilité que son insouciante apparence dissimule. Un peu tendu, il écoute attentivement les injonctions de Luc qui explore, teste, rectifie et en même temps dirige Steve et moi pour que le texte et la musique se glissent dans les projections de photos, ponctuées par les déplacements, et mouvements dansés de Bruno. On se sert du hasard. L’écran trop central se relève et participe soudain à une mise en scène inédite. Chaque lieu devra être utilisé avec ce qu’il a ou ce qui lui manque. Mais tout doit devenir un atout. Pour l’instant, c’est le reproductible que l’on traque.

De lectrice narratrice, assise en amorce, je passe à corps dans le décor. Me voilà portée par Bruno, debout sur son corps allongé, ou couché sous l’écran à ses côtés, continuant à dire mon texte dans cette mise en espace qu’invente Luc. Notre metteur en scène s’empare de nos présences, du tambour, de la voix, de nos gestes, tandis qu’Astrid fait passer les photos, cherche l’image d’un de nos êtres beaux, s’arrête sur une autre. Des séquences se dessinent, des personnages que nous ignorons encore naissent, sortent de leur dimension plate. L’espace est liquide, flottant, durci parfois. Le spectacle se déploie en tableaux, en idées, en tâtonnements mystérieux et pistes possibles. Les caméras sont devenues témoins, outils de travail. Elles enregistrent l’histoire du spectacle dont on ne se souviendra plus quand il sera au point, quand les spectateurs seront dans la salle, retenant leur souffle, saisi d’une émotion, surpris par une révélation insolite.

 

Cette deuxième séance de création, très différente de la première, est son complément, son déploiement esthétique, une sorte de quête. De l’intime au spectaculaire, toutes les émotions que nous traversons grâce à ces deux répétitions explorent l’adaptation scénique d’Etre Beau.

Je m’extrais un moment de la scène pour rejoindre Astrid assise un peu plus en haut dans la salle afin de prendre le recul d’un spectateur. Nous partageons un rire en nous souvenant qu’au bout de deux ans, une peu angoissées, nous écrivions aux premiers Etre Beaux que nous avions photographiés et dont j’avais noté le témoignage, pour leur dire que le projet était toujours en cours, que non il n’avait pas encore d’éditeur mais que nous continuions à travailler. Nous avions peur de passer pour des rigolotes pas sérieuses qui avaient lâché le projet. Mais la certitude était là, le plaisir de continuer toujours aussi fort, et nos rencontres nous enracinaient dans l’idée de ne pas abandonner.

 Les grands projets artistiques cultivent ces valeurs de patience, d’obstination et en cela, ils sont magiques. Ils se font quand on est à sa place et le temps qu’on leur consacre trouve toute l’énergie et l’exigence qu’on peut leur offrir pour se déployer et accomplir une oeuvre avec amour.

Work in progress comme disent les anglo-saxons… Les répétitions vont reprendre en septembre et nous serons fin prêts à la fin de l’année. Nous vous tiendrons au courant…